Notre tour du monde...

Potosi

“Cela vaut un Potosí…”. C’est avec cette expression (“Vale un Potosi”, en espagnol) que Cervantès, dans son illustre Don Quichotte, fît entrer le nom de Potosi dans le langage courant, pour qualifier une chose à la valeur inestimable.

Mais pourquoi donc?

On n’en avait pas conscience. Avouons-le. Mais Potosi fut l’une des villes les plus importantes du monde. Pendant plusieurs siècles. A l’instar de ce que peut représenter, de nos jours, New York, Londres ou Waremme Paris.

Au départ, il y avait ce petit village, perché dans les Andes boliviennes, à plus de 4.000m d’altitude. Avec pour particularité, d’être niché au pied du…Cerro Rico. Un sommet culminant à plus de 4.800m.


Le Cerro Rico. L’origine de toute l’histoire. Ce n’est pas une montagne comme les autres. Elle est d’une richesse minérale hors du commun. De l’argent, de l’étain, du zinc… Mais pendant des siècles, les indiens n’y touchent pas. Ils vénèrent ce lieu. L’associent à la Pachamama, la Terre mère. Déesse majeure dans les cultures amérindiennes. Pour eux, les richesses du Cerro Rico sont destinées à des êtres venus d’ailleurs. Quelle clairvoyance

 …les espagnols débarquent. Vers 1545, ils découvrent l’existence de la fortune enfermée au cœur du Cerro Rico. Les plus grands filons argentifères du continent américain. L’argent est d’une telle pureté qu’il ne doit même pas être traité pour être exploité. Potosi va naître. Et connaître une expansion exponentielle. Trois siècles durant.
Devenant le plus grand complexe industriel du monde au 16° siècle. L’une des plus grandes villes du monde au 17°. Enrichissant l’Espagne et, par extension (l’Espagne dilapidant cette richesse, jusqu’à la ruine), toutes les autres puissances européennes. Plus de 30.000 tonnes d’argent extraits du Cerro Rico, durant cette période. La monnaie de tout l’empire espagnol est frappée à Potosi. La ville est à son apogée.
Prospérité et faste, avant le déclin. A partir du 19° siècle, la raréfaction de l’argent et l’indépendance bolivienne vont mettre un frein à l’essor économique de la ville.

Ce petit résumé (sans autre prétention que de vous montrer à quel point cette ville fut “importante”), c’est le côté face de la pièce. Le côté pile est beaucoup moins glorieux. Potosi est la ville de la honte pour l’Europe. Un exemple majeur du pillage subit par l’Amérique et ses peuples séculaires. La scène d’un nouveau génocide colonial. Afin d’engraisser les royaumes européens, ce sont près de 6 millions d’indiens et d’esclaves africains (“M’sieur Spielberg, y a peut-être de quoi nous pondre un film, non? Une “Liste de Huiracocha”, par exemple”) qui y ont laissés leurs vies. Dans des conditions inhumaines.
On dit souvent qu’il y avait assez d’argent dans le Cerro Rico pour construire un pont au-dessus de l’Atlantique, reliant Potosi à la péninsule ibérique. Malheureusement, il y a également assez d’os de mineurs pour bâtir ce pont.

Laissons l’histoire de côté. Et revenons un peu à nous, petits voyageurs naïfs.

Nous avons beaucoup de mal à quitter Sucre. Un dernier petit dej’ à base de granola et de yaourt à la mûre avec Auriane, et nous quittons la demeure d’Olivier et de sa famille.
Un bus. Nous voilà à Potosi. La ville, de plus de 100.000 habitants, la plus haute du monde. Et on le sent. Il fait froid et nous avons le souffle court ainsi que de légers maux de tête. Pour ne rien arranger, Nels a choper un petit problème gastrique.


On passe nos deux premières journées au chaud. De l’auberge à de petits établissements accueillants. Planning, tâches administratives, blog ou encore tri de photos. On a assez de “boulot” pour nous occuper. Quelques soupes de poulet. Des maté de coca. Nels commence à aller mieux. On va pouvoir commencer à prendre la mesure de la ville. Et, il y a de quoi. Sucre était sympa et agréable. Potosi est juste belle! Magnifique, même.

 

L’héritage colonial est incroyable. De superbes bâtiments. Des couleurs vives. Des balcons en bois. Des places au charme fou. Tout nous rappelle le riche passé de la ville. Et le sang indien, qui coule sur ces murs, par extension. Malgré tout, on ne peut s’empêcher de trouver ce patrimoine architectural splendide. On n’est pas les seuls, puisque la ville (comme Sucre, d’ailleurs) est inscrite au patrimoine blabla-chépakoi de l’Unesco

Nous commençons par la visite de la Casa de la Moneda, bâtie en 1753. Édifice, témoin des atrocités commises par les espagnols, puisque c’est ici que la monnaie était frappée. Essentiellement par les esclaves africains. Nous passons par les différentes “salles de travail”. Fours, presses… Observons les pièces d’époques, et écoutons attentivement les explications du guide. C’est relativement intéressant. Même si on s’attendait à mieux. Notamment au niveau des explications, qui reste assez superficielles. Au final, ce qui nous a vraiment plu c’est de pouvoir pénétrer dans ces lieux chargés d’histoire. Tout est extrêmement bien conservé et les bâtiments sont grandioses.

 

Excursion suivante. La Cathédrale. Située sur la très agréable place du 10 novembre. On pénètre dans cette édifice mélangeant les styles baroque, gothique et néo-classique. Et là, c’est la surprise. La Cathédrale est en restauration. Un véritable chantier. Qu’à cela ne tienne, nous entamons la visite avec un guide surprenant et très taquin. Dans un très bon français, il nous fait une espèce de “visite-interrogation”, distribuant les bons points:

  • Lui: “Alora, Angie, issi nous s’avons oun sim’bol…?”
  • Angie: “Franc-masson…”
  • Lui: “Bravooo!
    Lui: ”Cé qué vous foyez là, répréssente…?”
  • Nels: “L’annonciation de l’archange Gabriel à Marie…”
  • Lui:Hooo…bravo Nelson! Mas’, Angie tou as là oun spécialiiista, hein…”
Malgré les travaux, la méthode très spéciale de notre guide rend la découverte de la Cathédrale passionnante…et amusante à la fois. Et on peut affirmer que cet édifice est (ou sera, après restauration) d’une beauté fabuleuse! On clôt l’interro-surprise tout en haut. Au cœur du clocher. Une vue imprenable sur la ville et le Cerro Rico. On témoigne une nouvelle fois de la grâce de Potosi.

Nous poursuivons l’exploration de la cité. La population y est très différente de celle de Sucre. Plus d’indigènes. Plus de pauvreté, de précarité aussi. Plus d’animation. Plus de vie. Plus d’authenticité.

 

Nous nous perdons dans ses petites ruelles pentues. A chaque coin de rue, une nouvelle église, un autre square, une énième bâtisse exceptionnelle. C’est ainsi que nous découvrons l’église San Francisco, avant de nous introduire dans le charmant couvent Santa Teresa. Une visite très complète. Celle-ci nous permet d’en savoir plus sur la vie des sœurs carmélites. Un mode de vie très semblable à celui dévoilé par le couvent Santa Catalina, à Arequipa. Un lieu recélant de pièces éblouissantes, d’œuvres originales et d’histoires intéressantes.

 

Après une telle journée, on s’offre un bon repas. Au menu, une dieta de pollo (espèce de bouillon de poulet) pour Nels et un ajillon (soupe à  d’aji) pour Angie. En plat, une spécialité bolivienne, le picante de pollo. Du poulet bouilli, cuit dans un jus préparé à base d’aji, et accompagné de pommes de terre et de riz. 

Le lendemain, nous avons au programme LA visite de Potosi. La visite des mines. Car ce qu’on ne vous a pas dit, c’est que le Cerro Rico est encore exploité. Évidemment, il est loin le temps des filons d’argent.

 

Nous choisissons une visite privée pour être certains de pouvoir faire demi-tour en cas de panique. En effet, l’exploration des mines est déconseillée aux claustrophobes. De plus, cette excursion a un aspect voyeuriste qui nous met mal à l’aise (nous avons, d’ailleurs, pas mal hésité à faire cette visite). Vous imaginez un groupe de touristes japonais débarquer au boulot avec leurs appareils photos. Dès lors, nous serons plus à l’aise en mini-groupe (le guide et nous) et pourront exprimer, le cas échéant, notre envie de partir.

 

Vue le nombre de visiteurs, l’ensemble est bien rôdé. La première étape consiste à acheter des cadeaux pour les mineurs. De la dynamite, des feuilles de coca, des boissons, des outils, des gants… Tout est disponible dans le coin. Ensuite, nous enfilons notre costume de mineur. Nous prenons un bus pour le Cerro Rico. L’ambiance est étrange dans ce coin de la ville. Beaucoup d’hommes, quasiment tous mineurs. La peau noircie et les traits marqués par le labeur. On ne se sent pas vraiment à notre place.

 

Nous arrivons à la mine. José Luis, notre guide, est sympa et pas avare en bonnes explications. Qui plus est en français, Nels est dispensé de traduction. Il nous explique qu’on ne trouve, aujourd’hui, plus que du zinc, de l’étain, du plomb, du cuivre et très très peu d’argent. 
Il nous parle du modèle d'organisation du travail dans les mines. A savoir, les coopératives. Composées par les propriétaires de celles-ci, les équipes de mineurs professionnelles (qui reçoivent un pourcentage de ce qui est extrait) et les mineurs occasionnels (payés à la journée)
Il nous en apprend plus sur les nombreuses croyances. En particulier, la Pachamama et Tio. Ce dernier est le dieu des mines, représenté par un espèce de diable à cornes, à qui les mineurs vouent un culte sans fin et à qui ils offrent des cigarettes, de l’alcool et et de la coca
Il nous éclaire également sur le rôle de la coca. “Nourrir” et “encourager” le mineur, grâce à ses vertus de coupe-faim et d’énergisant. La consommation à grande échelle a été mise en place par les conquistadores. Aujourd’hui encore, les mineurs ne jurent que par elle. José Luis aborde également des sujets comme la pénibilité extrême du travail et l’espérance de vie limitée de tous ces hommes.

 

Toutes ces explications nous sautent au visage comme des évidences lorsque nous pénétrons dans la mine. Nous nous engouffrons dans ce dédale, précaire et sans fin. Des galeries dans tous les sens, sur plusieurs niveaux. L’air est irrespirable. L’humidité, l’obscurité, la poussière et le froid extrême ou (ça dépend des galeries) la chaleur intense ajoutent une dimension encore plus dramatique à ce lieu. 

Nous pénétrons dans plusieurs galeries, descendons de quelques étages et assistons à plusieurs explosions. Nous rencontrons quelques mineurs et distribuons nos maigres cadeaux. Ils en redemandent. De la coca, des boissons. Ils ont le sourire. Toujours une boule de coca dans la bouche. Les gencives et les dents abîmées par ce mâchage permanent. Certains n’ont que 20 ans, mais en paraissent 40. Nous faisons également la connaissance de Tio. Entouré d’offrandes en tout genre. Après deux bonnes heures à se faufiler dans ce labyrinthe, nous retrouvons, avec joie, l’air pur et la lumière du jour.

 

Que dire de plus? C’est marquant, éprouvant. On peut toucher du doigt ce que vivent ces hommes. Mais on ne pourra jamais ressentir ce qu’est réellement leur vie.

 

Notre temps à Potosi est écoulé. Il est temps de quitter la ville. Une dernière nuit au Koala Den et un bus nous emmène vers Uyuni. Le bout du monde… 

Voici Potosi en images. ICI

Nels

3 Responses Subscribe to comments

  1. gravatar
    Caro

    En vrac :
    - J'adore les ptites madames à chapeaux !!
    - Vous avez eu un camenbert pour vos bonnes réponses ? (je vais mettre l'eau à la bouche d'angie là ;o)
    - Sympa de faire de la pub pour mon boulot, Les "Pitufos" étaient à l'honneur chez Delhaize: vous savez ce truc (Arn... que) qui veut que si t achetes un max, ton gosse recoit une ptite figurine en cadeau :o)

    Gros bisoussss

    12 septembre 2011 à 17:18

  2. gravatar
    Anonyme

    Comme Caro, j'adore votre photo des 3 femmes adossées au mur défraîchi: il résume bien l'ambiance qui se dégage de ce pays au travers de vos commentaires: authenticité!

    Bravo aussi pour vos photos en noir et blanc des mineurs de Potosi, quelle émotion.... on a l'impression d'être descendu avec vous dans la mine, j'en ai encore des frissons.

    Merci et bon "bout du monde"!
    Sophie,Ittre

    13 septembre 2011 à 10:19

  3. gravatar
    Anonyme

    "On peut toucher du doigt ce que vivent ces hommes. Mais on ne pourra jamais ressentir ce qu’est réellement leur vie. "

    très belle phrase! c'est toujours aussi bien écrit et on apprend toujours beaucoup sur tous ces endroits que vous visitez.

    bizz les baroudeurs!

    Wils

    14 septembre 2011 à 23:52

Reply

Want to dream with us...Write something!